Louis Valentin Goetzmann de Thurn
X1 Marie Anne Françoise Amann
X2 Gabrielle Julie Jamart
Le plus célèbre des Goetzmann, Louis Valentin, était l'arrière-petit-fils de notre
ancêtre Jean Georges et contemporain de notre ancêtre Joseph Antoine Nansé, le petit-fils de
Marie Catherine Goetzmann (voir notice sur les Nansé), celui-ci connaissait peut-être son illustre
cousin issu de germain, et se passionna sans doute pour ses déboires, célèbres dans la France
entière...
Louis Valentin Goetzmann naquit, comme tous les membres de sa famille, dans le village de Landser, le 16 septembre
1729. Louis XV commençait à assumer ses fonctions de jeune Roi de France, un Roi qui fut parmi les
mieux aimés, du moins en son début de carrière, car il termina son règne dans l'indifférence
la plus totale.
L'Alsace commençait à oublier son ancienne appartenance au Saint-Empire, et la France vivait les
débuts de ce que l'on appela plus tard "le siècle des lumières" : Diderot et D'Alembert
allaient bientôt commencer à travailler sur l'encyclopédie, le banquier Law déchaînait
les foules avec le système bancaire qu'il venait de créer, les conflits religieux et politiques
s'étaient enfin un peu apaisés, depuis une ou deux générations, etc.
Louis Valentin grandit donc avec le seul souci de mener à bien une carrière prometteuse.
Comme tous les hommes de la famille Goetzmann, il fut envoyé à Strasbourg, à la faculté
de Droit, pour y étudier et en sortir nanti d'un diplôme qui lui permettrait de reprendre dignement
la succession de son père. Il y fut immatriculé le 3 novembre 1747, et présenta une thèse
de "peculiaribus privilegiis militaribus", ce que l'on pourrait traduire par "les privilèges
militaires pécuniers" le 20 août 1749. Ayant passé ses examens avec succès, il
devint, ce qui ne nous étonnera d'ailleurs guère, avocat au Conseil souverain d'Alsace ! Comme on
s'y attendra également, il se maria rapidement avec une jeune fille de son milieu. A 24 ans, en 1753, il
épouse Marie Anne Françoise Amann, originaire d'Hegenheim où elle était née
en 1732. Son père se nommait, Jean Jacques Amann, et venait de Fribourg, en Suisse. Il y était chevalier
de Saint-Louis, avant de devenir lieutenant-colonel au régiment suisse de Karrer et de mourir "dans
les isles dans le service de sa majesté" le roi de France.
Louis Valentin obtint ensuite, en juillet 1755 des provisions pour l'office de conseiller substitut du procureur
général au Conseil souverain d'Alsace. En cette qualité il joua un rôle dans l'affaire
du fief de Wittelsheim, vacant par la mort du commandeur de Hagenbach. Il commença à se distinguer
et à faire parler de lui grâce à cette affaire qui opposait la Couronne de France et l'Evêché
de Bâle. Représentant le procureur général du Conseil souverain d'Alsace, il rendit
service à la Couronne de France en distrayant des pièces utiles à S. A. l'Evêque de
Bâle en 1756,1757.
Cette dernière année, il demanda à cumuler sa fonction avec celle de bailli d'Eschentzwiller,
fonction qui, on l'a vu, était dans sa famille depuis 1686, et pour laquelle il avait obtenu des lettres
de provision. Malheureusement pour lui, sa requête fut repoussée au motif "qu'un substitut qui
a la parole et la plume en l'absence des gens du Roi, ne peut pas exercer en même temps un office judiciaire
intérieur". Il devint par contre, toujours en 1757 (à seulement 28 ans) conseiller au Conseil
souverain d'Alsace, obtenant du pouvoir une lettre de dispense de parenté datée du 30 novembre 1757,
car il était parent des Poirot, Holdt, Gobel ...
Sa femme mourut en juin 1758, à Colmar. Pourtant, comme cela était courant, il ne se remaria pas
tout de suite, sa charge l'occupant certainement beaucoup, et peut-être l'amour vrai qu'il lui portait lui
interdisait d'abréger son deuil.
Six années plus tard, Louis Valentin put convoler à nouveau en justes noces. C'est sans doute en
1764, peut-être à Paris, qu'il épouse Gabrielle Julie Jamart.
On retrouve Louis Valentin à Paris, en 1766. Il venait de se défaire de sa charge, et entamait une
carrière d'écrivain plutôt prolixe. Paris, de tous temps, avait toujours attiré les
artistes, hommes d'affaire ou de pouvoir, ainsi que ceux qui voulaient "réussir". Sans doute riche,
le couple devait posséder un vaste logement, des domestiques en nombre, et tout ce qu'il fallait pour être
apte à fréquenter le beau monde, les salons littéraires ou la cour.
Louis Valentin publia donc nombre d'ouvrages juridiques ou polémiques, dont l'un qui lui valut, en 1768,
de devenir lauréat de l'Académie royale de Metz pour un mémoire portant sur la ville de Metz
(1).
En 1771 il entra, comme titulaire d'un office de conseiller en la "grand' chambre", dans la nouvelle
compagnie judiciaire créée par la réforme judiciaire du chancelier Maupeou en remplacement
de l'ancien Parlement de Paris. Cette place faisait de lui un personnage politique désormais à part
entière, qui pouvait participer à la vie du pays de façon réelle et active. De surcroît,
Louis Valentin était bien vu par la Cour, et nul doute que son nom vint jusqu'aux illustres oreilles du
roi de France. D'ailleurs, peut-être eurent-ils l'occasion de bavarder ensemble ?
Bénéficiant de la protection du gouvernement, Louis Valentin obtint en décembre 1772 des lettres
patentes le nommant commissaire à la caisse des amortissements.
Mais ce qui acheva de le rendre célèbre, ce fut une affaire à priori banale, mais qui eu grand
retentissement partout en France : comme il était réputé meilleur criminaliste de la compagnie,
Louis Valentin avait été nommé rapporteur dans un différent opposant l'illustre Pierre
Augustin Caron de Beaumarchais au comte de la Blache. Cela se passait en 1773.
Afin d'obtenir des audiences (favorables, bien entendu) de son mari, Beaumarchais fit à Mme Goetzmann un
présent de cent quinze louis, dont quinze étaient destinés au secrétaire de Louis Valentin,
ainsi qu'une montre enrichie de diamants. Gabrielle Julie accepta le présent et promit de tout restituer,
dans le cas où Beaumarchais perdrait son procès. Cela s'appellerait, aujourd'hui, des pots de vin.
Malheureusement, ce qui devait arriver, arriva, et il le perdit. On lui restitua donc ses cadeaux... sauf les quinze
louis, qui étaient restés dans les poches de Mme Goetzmann ! Fâché de la perte de son
procès, Beaumarchais protesta contre le détournement commis par la femme de Louis Valentin. Ne se
laissant pas faire, notre conseiller intenta un procès à l'écrivain, et ce dernier lui répondit
par des mémoires cinglants - mettant les rieurs de son côté -, dans lesquels les quinze louis
servirent de pivot à la défense de Beaumarchais.
Paris tout entier, la France et l'Europe cultivée, se passionnèrent pour cette affaire embrouillée.
Le frère de Louis Valentin, François Antoine Dominique, chanoine de Lautenbach, invoqua, mais en
vain, la protection du duc d'Aiguillon, ministre et secrétaire d'Etat du département des affaires
étrangères, que Louis-Valentin avait autrefois soutenu alors qu'il était en procès
avec les parlements de Rennes et de Paris.
L'issue de cette affaire se soldat par un arrêt du 26 février 1774, par lequel le Parlement condamnait
Beaumarchais et la dame Goetzmann au blâme et à une amende; Gabrielle Julie fut en outre condamnée
à restituer les fameux quinze louis, pour être employés au pain des prisonniers de la Conciergerie.
Le même arrêt ordonna aussi que les mémoires de Beaumarchais seraient lacérés
et brûlés par l'exécuteur de la haute justice, que ceux de Louis Valentin Goetzmann seraient
supprimés et mit ce dernier hors de Cour (c'est-à-dire qu'il fut déclaré mal fondé
en sa plainte en corruption).
Implicitement condamné au travers de sa femme, Goetzmann se démit de sa charge en 1774, et quitta
son personnage public pour rentrer dans une vie privée plus discrète. L'ex-magistrat s'adonna de
nouveau à l'écriture, mais aussi à l'espionnage, car il était malgré tout resté
apprécié par le gouvernement.
Ainsi, à la fin de l'année 1780 il fut, à l'occasion du conflit entre les Insurgents et la
Couronne britannique, envoyé secrètement à Londres par le ministre Sartine. Il devait obtenir
des renseignements sur les mouvements et les destinations des flottes et escadres anglaises, et calculer la chute
plus ou moins prochaine du ministère anglais...
Goetzmann aurait déterminé Sartine à hâter l'envoi de l'armée de Rochambeau dans
la baie de Chesapeake où elle arrêta les succès de l'armée de Cornwallis.
A la fin de l'année 1781, Louis Valentin reçut l'ordre de retourner en France. Il fut réexpédié
à Londres par le ministre des affaires étrangères Vergennes, dans le dessein d'étudier
le moyen de hâter la chute du ministère de Lord North. Louis Valentin aurait, ainsi, épargné
au gouvernement de Sa Majesté la dépense de plusieurs millions.
En récompense de ses derniers services, il fut pensionné par le gouvernement. Louis Valentin vivait
alors entre Paris et la Cour. Il devait sans doute ne pas regarder à la dépense (réceptions,
cadeaux, etc) car il avait, comme toute personne de son rang, de fréquents embarras d'argent, ne touchant
de surcroît sa pension qu'irrégulièrement. Il ne cessa pas pour autant de travailler pour la
France, car le gouvernement de Louis XVI l'employa dans différentes affaires.
Mais il ne pouvait pas prévoir ce qui allait arriver, ni surtout la façon dont cela allait se terminer.
La Révolution survint, et on pense qu'à cette époque, il aurait servi d'agent à la
Cour.
Comme la plupart des personnes trop proches de la Cour, et souvent sans preuves d'ailleurs, il fut incarcéré
dès octobre 1793.
Il chercha à se défendre, et écrivit notamment une lettre, datée du 41ème jour
du 21ème mois de l'An II, adressée au Comité révolutionnaire de la Section de l'Homme
Armé. Par cette lettre, il désirait répondre à l'accusation qui lui était faite
d'être un étranger. Pour se faire, Louis Valentin rappelait l'action de son bisaïeul, Jean Georges
Goetzmann, expliquant que celui-ci avait joué un rôle dans le rattachement de l'Alsace à la
France.
Mais rien n'y fit.
Il passa devant le tristement célèbre Tribunal Révolutionnaire, et fut condamné à
mort le 7 thermidor an II. Le motif officiel de la condamnation était sa participation à la conspiration
de la prison de Saint-Lazare. Ce 25 juillet 1794 donc, sans avoir pu obtenir un sursis qui lui eût été
bénéfique, car Robespierre et les siens allaient choir du trône sanglant sur lesquels il s'étaient
assis seulement deux jours plus tard ; ce jour là, Louis Valentin Goetzmann, arrière petit fils de
Jean Georges, le jour même de sa condamnation, monta sur l'échafaud, et fut guillotiné.
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Annexe :
(1) Travaux de Louis Valentin Goetzmann (publiés sous son nom ou sous couvert de l'anagramme Zemganno, ou
du sigle L.V.G. de Th. qui signifie Louis Valentin Goetzmann de Thurn):
o Description générale de la Province d'Alsace: Dans toutes les parties de son administration. Avec
une Dissertation sur ses limites. Première partie contenant les privilèges généraux
de la Province mai 1767;
o Traité du droit commun des fiefs, contenant les principes du droit féodal, avec la jurisprudence
qui a lieu dans les pays qui sont régis par le droit commun des fiefs, et notamment en Alsace; suivi d'un
chapitre particulier sur le commerce et la multiplication des juifs d'Alsace et de Metz, terminé par un
dictionnaire féodal, Paris, 1768, 2 vol. (le 2ème volume ayant sans doute paru en 1776);
o Mémoire couronné par l'académie royale de Metz, le 18 septembre 1768. Sujet du prix : Comment
la ville de Metz est-elle passée sous la puissance des empereurs d'Allemagne ? Quand obtint-elle précisément
le titre de ville libre impériale ? Quels changements ces révolutions ont-elles opéré
dans l'administration de la justice " Metz, Paris, 1769;
o Discours adressé à l'académie de Metz, à l'occasion de sa réception, 1769;
o Questions de droit public sur une matière très intéressante, précédé
d'une lettre de G. W. Dorff., Amsterdam, 1770;
o Analyse de l'ouvrage ayant pour titre: " Questions de droit public,., Amsterdam, 1770;
o Lettre d'un jurisconsulte Français à un publiciste allemand, sur une question de droit public,
Londres, 1771 ;
o La jurisprudence du Grand Conseil examinée dans les maximes du royaume. Ouvrage précieux, contenant
l'histoire de l'inquisition en France Avignon, 1775;
o Les quatre âges de la pairie de France, ou histoire générale et politique de la pairie de
France dans ses quatre âges; pairie de naissance, de dignité, d'apanage, de gentilhomme, Maestricht,
1775, 2 vol.;
o Essais historiques sur le sacre et couronnement des rois de France, les minorités et les régences,
précédés d'un discours sur la succession à la couronne, Paris, 1775;
o Essais politiques sur l'autorité et les richesses que le clergé séculier et régulier
ont acquises depuis leur établissement, s.l., 1776;
o Histoire politique des grandes querelles entre l'empereur Charles V et François ler, avec une introduction
contenant l'état de la milice et la description de l'art de la guerre avant et sous le règne de ces
deux monarques, ensemble une notice des plus célèbres sçavans qui ont contribué à
la renaissance des lettres, Paris, 1777, 2 vol.;
o Histoire politique du gouvernement françois, ou les quatre âges de la monarchie française.
t. III, Paris, 1777, (des quatre volumes annoncés, seul le premier a paru)
o Lettres à un magistrat sur la contestation actuelle entre les libraires de Paris et ceux des provinces,
s.l., 1778;
o Un autre ouvrage, annoncé par voie de prospectus, ne vit cependant pas le jour. Il s'agit du Dictionnaire de droit public, contenant les étymologies, définitions, divisions et principes du droit public de l'empire d'Allemagne, avec un abrégé du droit des ambassadeurs...
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Textes publiés dans " Les français vus par eux-mêmes : le XVIIIème siècle
(" bouquins " - Robert Laffon - 1996) :
o p. 407 (texte de l'avocat Hua, 1759-1836, neveu du secrétaire du Roi, à propos de son intégration
dans les milieux de la robe : Mémoires, pp 9-18)
" À cette époque, les mémoires de Beaumarchais dans l'affaire Goëzman faisaient
fureur à Paris. J'avais parodié sa manière, et ces messieurs trouvaient qu'il y avait du Beaumarchais
dans mon style. "
o p. 471 (texte de Mme Campan, 1752-1822, femme de chambre de Marie-Antoinette, dans ses " Mémoires
sur la vie privée de Marie-Antoinette " - BNF)
" Depuis longtemps Beaumarchais était en possession d'occuper quelques cercles de Paris par son esprit
et ses talents en musique, et les théâtres par des drames plus ou moins médiocres (…). Ses
mémoires contre M. Goezman avaient mausé Paris, par le ridicule qu'ils versaient sur un parlement
mésestimé et son admission dans l'intimité de M. de Maurepas lui procura de l'influence sur
des affaires importantes. "
© Freédéric THEBAULT |